Le Grand Prix de France de Formule 1 n’aura pas lieu. Ni cette année, ni l’année prochaine.
« Il n’y a pas de bon circuit en France, nous avons quitté la France parce que ça ne marchait pour personne. La France pourrait obtenir le soutien nécessaire pour organiser une course mais l’endroit où elle se déroulait à Magny-Cours n’intéresse personne »
Voilà le nouveau pavé dans la mare lancé par Bernie Ecclestone, le grand argentier de la Formule 1, lors d’une interview accordée à la chaîne Sky Sports en marge du Grand Prix d’Autriche ce week-end. L’homme est un habitué des coups de com’, des déclarations provocs à l’emporte pièce et des argumentaires pour faire monter les droits commerciaux de certains Grand Prix. Mais tout de même, ces déclarations repoussent encore le retour de la France dans le calendrier de la F1, le dernier en date datant de 2008. Au-delà de la polémique, c’est l’occasion pour sportsmarketing.fr de décrypter les enjeux sous-jacents de ce serpent de mer qu’est devenu le Grand Prix de France de Formule 1, avec une analyse et un face à face des arguments des pro et des anti Grand Prix de France, et notamment la question d’une participation financière ou non de la puissance publique.
Feu vert ou drapeau rouge ?
Petite chronologie pour commencer. Premier repère, 2008, celui de la dernière édition du Grand Prix de France. 4 ans plus tard, on apprend l’existence de pourparlers concernant un éventuel retour du Grand Prix de France avec plusieurs éléments favorables : la venue de 3 pilotes français en F1 (Charles Pic, Romain Grosjean et Jean-Eric Vergne), l’accord avec la Belgique et le circuit de Spa pour organiser le Grand Prix en alternance, et la volonté politique appuyée par la création d’une cellule F1 pilotée depuis Matignon par François Fillon (qui était alors Premier ministre) et que l’on savait passionné de sport automobile. Lors de la campagne présidentielle 2012, le Grand Prix de France a été un sujet de débat entre les deux principaux candidats : Nicolas Sarkozy a clairement exprimé son souhait d’organiser un Grand Prix de France car celui-ci provoquerait d’importantes retombées, tandis que François Hollande indiquait que l’Etat ne s’engagerait pas financièrement, et c’est d’ailleurs ce qu’a confirmé par la suite sa ministre des sports Valérie Fourneyron.
Et en Juin 2012, l’Etat français avec le nouveau Gouvernement a renvoyé le dossier à la FFSA (Fédération française des sports automobiles) et son président, le technicien Nicolas Deschaux, pour étudier la faisabilité des deux projets que sont Magny-Cours et le Castellet, avec en particulier l’épineuse question financière. Alors si le gouvernement avait renvoyé le dossier du Grand Prix à la FFSA, celle-ci a rendu son rapport de faisabilité mi Septembre 2012 à la Ministre des sports qui a « renvoyé dos à dos les deux candidats que sont Magny-Cours et le Castellet ». Pourquoi ? : Parce que le circuit de Magny-Cours demandait une subvention annuelle de l’État, et une participation proportionnelle à sa participation au GIP (Groupement d’intérêt public) en cas de pertes éventuelles. Et parce que le circuit varois demandait quant à lui une garantie simple de l’État, proportionnelle à sa participation au GIP. L’idée du GP de France pour 2013 et les années à venir s’éloignait donc encore plus.
Le débat, ses acteurs et ses enjeux
Tout cela nous renvoie à l’enjeu financier et une question : dans un contexte de disette financière et de déficits, l’Etat doit-il payer pour faire venir la F1 en France ou est-ce aux investisseurs privés de le faire ? Autrement dit, organiser un Grand Prix de F1, est-ce produire un bien public ou un bien sportif ? ou les deux ? Est-ce à la puissance publique d’assumer ces dépenses ? Deux visions s’opposent sur la question et nous allons voir quels sont les arguments de chacun… sauf que… sauf que… l’Etat n’est pas seul.
L’Etat serait-il un acteur parmi d’autres ? Différentes parties prenantes entre dans la négociation : les collectivités locales, les têtes pensantes du paddock (FIA, FOM), d’autres acteurs comme Alain Prost qui fut « ambassadeur-lobbyiste » pour Le Castellet, les médias, les sportifs (avec un lobbying des pilotes qui globalement n’apprécient pas vraiment Magny-Cours), les spectateurs, les organisateurs, les détenteurs des droits, les sites… La réussite d’un tel projet nécessite un travail en étroite collaboration entre l’ensemble de ces parties prenantes.
Autre paramètre à prendre en compte dans notre analyse, celle de la mondialisation de la F1 et l’âpre concurrence que se livrent les pays pour organiser un Grand Prix. L’Europe, jadis dominante, se retrouve aujourd’hui minoritaire dans un rapport Europe/reste du monde.
Que disent les pro Grand Prix de France ?
L’argument de l’image et du prestige : ce n’est pas pour rien que les pays se battent pour faire partie du calendrier de la Formule 1. C’est un évènement sportif de dimension internationale, c’est le 3e évènement sportif mondial derrière les JO et les internationaux de football. Plus généralement, si on ouvre la réflexion au-delà de la F1, on peut dire qu’à travers un grand événement sportif on va repositionner la ville sur la carte du monde pour attirer des investissements internationaux. Mais une fois la compétition passée, la région d’accueil devra actionner les bons leviers qui permettent de multiplier les impacts : Maximiser les dépenses des visiteurs et s’assurer d’une visibilité importante de la région dans la production des images télévisées. L’événement lui-même ne devrait être qu’un élément contribuant à l’atteinte d’objectifs de long terme. Le défi d’organisation que cela représente pour une collectivité peut également constituer un élément mobilisateur puissant capable de donner une impulsion nouvelle à une région en créant des collaborations inédites entre les acteurs locaux. Compte tenu des impacts aussi divers que puissants, il n’est pas étonnant que les collectivités candidates professionnalisent leur approche à l’aide de stratégies coordonnées et réfléchies adossées à une matrice de visibilité. Le marché de l’événementiel sportif constitue aujourd’hui un enjeu de taille pour un grand nombre d’acteurs et notamment pour les collectivités publiques.
Au niveau des retombées, on s’aperçoit que mesurer l’impact économique n’est pas chose facile. Elles ont été évaluées entre 40 et 50 millions d’euros lors d’une étude réalisée en 2011 par le cabinet Keneo Sport Solutions pour un coût d’organisation de 30 millions €. Les retombées vont au-delà des 3 jours de compétition d’un week-end de Grand Prix. La majorité d’entre elles proviennent essentiellement des touristes qui consomment lors du week-end de compétition sans oublier les retombées fiscales directes ou indirectes. Selon une étude de Lagardère Sports, un Grand Prix mobilise plus de 5.000 professionnels. 1.500 personnes sont spécialement dédiées à son organisation, ce qui créé des opportunités d’emplois saisonniers et de contrats pour les entreprises locales. Néanmoins, il convient d’être prudent dans ces estimations car à l’instar des effets d’image, de nombreux impacts relèvent du domaine de l’intangible et sont donc extrêmement difficiles à quantifier. De plus, ce n’est véritablement qu’à long terme, une décennie au moins, que les impacts les plus significatifs d’un grand événement sportif sur son territoire d’accueil deviennent visibles.
Enfin, dernier argument en faveur d’une implication financière de l’Etat, la notion d’intérêt général. Celui-ci permet d’intégrer la pratique sportive au sein du droit public. Les Etats ont toujours considéré le sport et, surtout, les valeurs qu’il véhicule comme relevant de l’intérêt général. Mais la délivrance d’un service public est avant tout un choix politique, le contenu et les limites de ce dernier étant contingents et politiques.
Que disent les anti Grand Prix de France ?
Les anti Grand Prix de France étaient aussi des opposants à une implication financière de l’Etat et brandissaient le drapeau rouge financier : il faut dire que le risque existe aussi que les collectivités publiques s’endettent pour accueillir de grands événements. L’argent investi par une collectivité publique dans un événement sportif ne peut plus être dépensé pour mener à bien un autre projet qui aurait pu s’avérer plus rentable ou plus pertinent pour atteindre un objectif donné. Afin d’apprécier les multiples impacts d’un événement sur son territoire d’accueil, il convient donc d’adopter une approche globale.
Il faut aussi avoir à l’esprit qu’injecter autant d’argent pour le Grand Prix pourrait être très mal perçu par une partie de l’électorat car la Formule 1 garde une image élitiste, plus people que peuple, renvoyant à une élite mondialisée qui passerait son temps entre Monaco, Abou Dhabi, et Singapour.
Enfin, il semble que l’économie contemporaine du sport s’inscrit bien dans un contexte de mondialisation des marchés qui limite les domaines d’intervention des Etats. La notion « d’économie politique internationale du sport » concernerait ainsi un secteur d’intervention publique dont les enjeux dépasseraient le cadre des seules frontières nationales et étatiques, sans oublier le problème de la définition et des limites du champ de compétence des Etats. N’est pas le rôle d’une fédération par exemple de prendre en charge ce dossier ?(comme la FFSA) : On sait par ailleurs que les fédérations sportives sont chargées d’organiser et de promouvoir la pratique de leurs disciplines.