Voilà deux saisons que la F1 est entrée dans une nouvelle ère : la domination de Mercedes et le duel Hamilton-Rosberg, la communication de plus en plus prépondérante, les nouveaux moteurs V6, les règlements, les ingénieurs… l’attractivité de la F1 serait de plus en plus pointée du doigt, entre une baisse globale d’audience et du nombre de sponsors, une communication qui serait trop lisse et verrouillée, et de moins en moins de spectacle. D’un autre côté, on a aussi vu que la ferveur pouvait encore et heureusement être au rendez-vous comme à Mexico. Idem pour le spectacle à Austin.
Alors pour tenter de démêler le vrai du faux et en guise de bilan de cette saison 2015, nous nous sommes rendus à la rédaction du Figaro, du côté du boulevard Haussmann à Paris, pour rencontrer Cédric Callier, spécialiste F1, journaliste sportif au Figaro et à Sport24. Il répond avec simplicité et sans langue de bois aux « 7 questions à » de Sportsmarketing.fr
Bruno Cammalleri : Après deux saisons à tenir le haut de l’affiche, entre Lewis Hamilton et Nico Rosberg, qui gagne le duel de la com’ ?
Cédric Callier : En 2014 c’était plutôt Rosberg qui gagnait ce duel parce qu’il renvoyait l’image de quelqu’un de très calme, très serein. En plus il a ce coté polyglotte, plutôt beau gosse (même si Hamilton aussi) mais je trouvais qu’il dégageait une image de sympathie plus évidente. Hamilton était un peu celui qui boude dans son coin, qui s’énerve. Et puis il y a eu ce titre pour Hamilton et ça a tout changé. Depuis le début de saison 2015 Hamilton semble vraiment bien dans ses baskets, il assume totalement son coté people et du coup aujourd’hui on le sent beaucoup plus à l’aise, c’est lui qui balance des petites piques à Rosberg ! Aujourd’hui il est sur de sa force , il y a eu un moment donné où la saison pouvait peut être s’inverser quand Rosberg a gagné trois courses sur 4 (Espagne, Monaco, Autriche) : il y aurait pu avoir un flottement et il n’y en n’a pas eu. Les saisons précédentes ça se voyait quand Hamilton doutait, aujourd’hui il a vraiment pris l’ascendant. Rosberg est moins souriant, il y a eu l’épisode de la casquette, à la fois anecdotique et révélateur…
Bruno Cammalleri : Hamilton et Rosberg en têtes d’affiche depuis deux saisons, chacun dans leur style… quid des autres ? Les pilotes de F1 sont-ils de bons communicants ?
Cédric Callier : Je pense que oui, mais justement ils communiquent presque trop bien dans le sens où ils contrôlent trop leur communication. Parfois ils sont lisses, par caractère aussi. Quelqu’un comme Vettel est capable de balancer certaines choses de temps en temps, Rosberg est plus lisse. Il n’y a pas les mêmes conflits qu’à l’époque des années 70, 80 ou même 90.
Aujourd’hui j’estime que ce sont de bons communicants dans le sens où quelqu’un comme Rosberg reste très disponible, il parle plusieurs langues, paraît plutôt sympathique, il contrôle beaucoup ce qu’il dit sans être langue de bois. Il est quand même capable de dire certaines choses de temps en temps et de se remettre en question. Après au niveau des constructeurs, je crois qu’ils verrouillent un peu mais on a quand même vu des petites piques, notamment chez Mercedes où ils ont du mal à contrôler les deux pilotes. On a aussi eu le cas de Fernando Alonso qui balance sur son moteur Honda en plein Grand Prix du Japon !
Jenson Button lui est quelqu’un de super sympa qui est un très bon communicant, c’est bien d’en avoir un comme ça. Après peut être qu’il manque deux ou trois bad boys. Le problème est le même au tennis aujourd’hui : on tombe sur certains joueurs, Kyrgios ou Gulbis dès qu’ils font une frasque, et en F1 c’est un peu pareil on peut leur tomber dessus assez facilement. Après, peut-être qu’il manque quelques personnalités comme à l’époque. Aujourd’hui on a Hamilton et Alonso. Mais je me demande si, au-delà des pilotes, ça serait pas la F1 qui serait devenue lisse, avec des pilotes qui suivent un peu l’évolution d’un sport dans sa globalité. Idem en tennis, en foot et dans beaucoup d’autres sports.
Bruno Cammalleri : Ce coté lisse, une soi disant perte d’attractivité, une baisse de l’engagement des sponsors, cela viendrait-il d’un surpoids des règlements ? Trop de règlements tue le règlement ?
Cédric Callier : Déjà, la F1 est devenue moins spectaculaire. Les moteurs font moins de bruit, on a des pénalités qui sont parfois incomprises… quand on voit des accrochages on a l’impression qu’il faut toujours trouver un coupable alors que certains accrochages sont des faits de course ! Il y a aussi certains points de règlements incompréhensibles et ridicules : je pense aux Mclaren sanctionnées de 25 ou 45 places sur la grille, ce qui ne veut rien dire, pour un spécialiste de F1 comme pour un spectateur lambda ! Donc on le fait partir 3 virages avant la ligne de départ !? Après je comprends qu’il y ait une volonté de contrôler les coûts, notamment au niveau des moteurs mais il ne faut pas oublier le côté spectaculaire de la Formule 1.
Bruno Cammalleri : Et toujours dans notre réflexion sur l’attrait ou l’éventuelle baisse d’attractivité de la F1, on a de plus en plus de pilotes payants sur la grille de départ…
Cédric Callier : Il y en a toujours eu ! C’est un combat perdu d’avance. Sinon on va se retrouver avec une grille de 6 équipes, donc là il n’y aura pas de pilotes payants si vous prenez les 6 plus grandes équipes. Tant qu’il y aura des petites écuries il ne faut pas rêver, on aura des pilotes payants au vu du système de répartition des gains… tout cela fait que les petites écuries ne peuvent pas survivre sans cet apport des pilotes payants, ou au moins un des deux pilotes qui soit payant comme Lotus cette année.
Pilotes payants… pilotes gênants ?
Bien évidemment j’aurais tendance à être contre car ça enlève des places à des pilotes qui méritent plus et qui offriraient plus de spectacle… quoique Maldonado en offre beaucoup…
Bruno Cammalleri : Alors quelle école choisir entre une grille mixte et une grille sans « petites équipes » ?
Cédric Callier : Pas évident comme question. Quand on voit des équipes qui se traînent très loin, ça ne présente pas grand intérêt alors que si on mettait Rosberg, Hamilton et Alonso sur une Mercedes ça aurait plus de gueule. Et puis Vettel, Raikkonen et Grosjean sur Ferrari, pour le spectacle ça serait mieux ! Néanmoins, ça n’a jamais été dans l’esprit de la F1, surtout qu’il n’y a jamais eu aussi peu de petites équipes. Je me souviens de grilles avec 26 monoplaces au départ et puis il y a toujours ce côté glorieuse incertitude du sport quand on a un Bianchi qui marque des points avec une Marussia, un Vettel qui gagne avec Toro Rosso, un podium de Kobayashi sur Sauber au Japon. Le discours à la Bernie Ecclestone dirait que ça ne serait plus nécessaire d’avoir ces petites écuries, mais j’aime bien le fait qu’il y en ait encore. C’est assez difficile de trancher, Bernie tranchera pour nous !
Bruno Cammalleri : Justement Bernie Ecclestone est à l’origine de la Mondialisation de la F1, en sachant que la F1 est souvent au centre d’une stratégie de marketing territorial pour certains pays. Faut-il poursuivre cette mondialisation ou revenir davantage vers l’Europe ?
Cédric Callier : On doit continuer la Mondialisation et on doit préserver l’Europe. Le calendrier va aussi atteindre ses limites avec 21 courses prévues en 2016. On peut tout de même faire les deux, on a vu que retourner au Mexique était une très bonne idée, ce fut un succès populaire comme le circuit en lui-même.
Il faut essayer d’être présent sur tous les continents, on a vu que ça s’est bien développé en Asie, en Amérique aussi. Après quand on va en Chine devant des tribunes clairsemées, on sait que c’est un très gros marché et qu’économiquement cela s’explique. Tribune clairsemée ou pas, le spectacle doit surtout être sur la piste, l’intérêt des courses et des tracés doit prédominer et on doit surtout ne pas se fermer au marché chinois et aux marchés émergents dans leur ensemble.
Par contre il faut absolument garder une tradition. Bernie Ecclestone ne semble porter aucun attachement à des Grand Prix comme Monza et on l’a vu faire sauter un certain nombre de Grand Prix. Il y a beaucoup d’intox dans sa communication, mais s’il faut une sanction il la donnera comme on l’a vu pour le Grand Prix d’Allemagne. Il y a une part d’intox, mais Bernie Ecclestone n’est pas un sentimentaliste. L’intox dans un premier temps, puis vient la sanction. Telle est la méthode d’Ecclestone. Je pense que Monza peut tout à fait disparaître, j’espère qu’on n’en arrivera pas là.
Bruno Cammalleri : Et la France ? Va t’on revoir un Grand Prix de France de Formule 1 ?
Cédric Callier : Je n’y crois pas du tout ! Il y a beaucoup de problèmes ! Il faut voir déjà qu’en France la F1 n’est plus si populaire qu’auparavant, il y a quand même un fort courant écologiste qui s’oppose à tous ces sports mécaniques… hormis Le Mans qui garde cette image un peu immaculée
On voit qu’à travers un Grand Prix écologique, et qui a sur ce plan une image meilleure que la F1, on arrive très vite à avoir un Grand Prix en France (Formule E à Paris, en avril 2016). Ce qui prouve bien qu’il n’y a pas un amour de la F1 exacerbé en France.
Il y a aussi et bien évidemment le coût : aujourd’hui si vous dîtes à l’opinion publique que l’Etat va subventionner un Grand Prix de F1, il y en a certains qui ont une toute petite fibre écologique et qui d’un seul coup vont en avoir une beaucoup plus grande parce qu’ils estiment que l’Etat n’a pas à subventionner un Grand Prix en France. Je ne vois pas d’hommes politiques capables de prendre à bras le corps le problème. Toujours est-il que la solution sera politique. Aujourd’hui en France, on n’a pas de sponsor ou de structure privée qui pourrait organiser un Grand Prix de F1 sans l’aide de l’Etat. Partant de là, s’il n’y a pas de véritable volonté politique de pousser vers ça, on n’aura pas de Grand Prix de France de F1. Il est clair que le Gouvernement actuel souhaite ne pas pousser dans ce sens. Après si Renault revient au premier plan et si un pilote tricolore brille au plus haut niveau, ça peut aider. Et on peut noter que les pilotes payants ne sont jamais des pilotes français car les investissements sont loin des moyens que peut avoir PDVSA avec Maldonado ou Carlos Slim au Mexique. Je ne sens pas aujourd’hui un amour de la F1 en France tel que ça permette une renaissance d’un Grand Prix de Formule 1, à court terme comme à moyen terme.
Merci à Cédric Callier de nous avoir accueilli au Figaro et de nous avoir fait partagé son expertise à l’occasion de ces « 7 questions à »