A l’occasion de la sortie de « Marketing du Football » (Editions Economica), nous avons rencontré l’un de ses deux auteurs, Nicolas Chanavat. Il revient pour nous sur la parution de cet ouvrage et livre son éclairage sur l’actualité du sport business.
Nicolas Chanavat (@NicolasChanavat sur Twitter) est Maître de Conférences en Marketing du Sport. Il dirige le Master 1 Management du Sport à l’Université Paris-Saclay et le programme de recherche du Centre d’Etude Olympique Français. Nicolas a travaillé pour des clubs professionnels comme l’AS Saint-Etienne, a participé à de grands événements sportifs internationaux (FIFA, CIO) et exerce des activités de consulting (FFF, projet du « Grand Stade » de l’OL, etc.).
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire cet ouvrage ?
Il y a 15 ans, je découvrais l’univers du football professionnel en mettant en place les institutions représentatives du personnel de l’AS Saint-Etienne. Je m’engageais ensuite dans l’organisation d’événements sportifs internationaux avant de réaliser un doctorat sur l’efficacité du sponsoring sportif puis de devenir consultant. Cet ouvrage est tout simplement le guide qui aurait pu m’aiguiller et m’accompagner à mes débuts et tout au long de mes différentes expériences dans l’univers du sport business ! Fort de bases théoriques solides et de cas concrets, il dresse un état des lieux, identifie les bonnes pratiques et propose des pistes de réflexion inédites en la matière. L’idée était d’aller à la rencontre des professionnels du football mondial : des clubs aux fédérations, des médias aux agences, en passant par les sponsors, pour proposer un ouvrage de référence en marketing du football. Ce livre s’adresse aux enseignants-chercheurs, aux étudiants, aux professionnels et à tous les acteurs socioéconomiques en lien avec ce domaine. Le lecteur pourra, à travers lui, mieux cerner les orientations marketing des entités sportives professionnelles du football et appréhender les innovations en matière de marketing du sport.
Comment est construit votre livre ?
Cet ouvrage a été rédigé de telle sorte qu’il puisse être parcouru via deux clés d’entrée, soit par thématique, soit par club. Un large panel de clubs est analysé (PSG, Real Madrid, Juventus Turin, New York Red Bull, …) avec des configurations différentes en terme de budget, de rayonnement et de nombre d’abonnés. Mais ce livre est tout d’abord le résumé de belles histoires et de belles rencontres : à travers une centaine d’interviews, de nombreux contributeurs et experts internationaux nous apportent leur éclairage de professionnels. La première partie du livre permet de bien comprendre l’évolution du sport business dans son ensemble et de mieux cerner le marketing du football dans une perspective nationale, continentale et mondiale. Dans une deuxième partie, les stratégies et initiatives marketing essentielles au succès des entités sportives professionnelles du football sont analysées. La dernière partie illustre les stratégies et déclinaisons opérationnelles des clubs européens à travers des cas concrets de clubs.
Quelles sont les évolutions des pratiques de marketing dans le football ?
L’histoire du football nous montre que les clubs professionnels ont longtemps sous-exploité leur potentiel marketing. Dans les années 60, ils payaient les équipementiers pour obtenir leurs tenues. Aujourd’hui, Adidas envisage d’investir 400 M€ sur dix ans pour prolonger son contrat d’équipementier du Real Madrid ! Dans les années 70, les clubs intégraient progressivement le marketing afin de se développer et de pérenniser leur activité. Aujourd’hui la billetterie est devenue minoritaire et les droits TV très conséquents. Ils culminent à des sommets au Royaume-Uni : à partir de 2016, la Premier League bénéficie d’une somme record de 6,9 milliards € sur 3 ans ! Si l’argent ne garantit pas le succès d’une équipe, son manque interdit quasiment d’atteindre ce succès durablement. Autrement dit, la réussite sportive sur le terrain nécessite de générer de nouvelles recettes. C’est pourquoi les clubs doivent désormais différencier leur marque et innover au service de l’expérience client et des sponsors. Cela passe par des innovations qui sont examinées tout au long du livre. A noter que le digital se trouve désormais au cœur des stratégies des parties prenantes de l’écosystème d’un football professionnel en perpétuelle mutation.
Quel est le meilleur modèle marketing parmi les clubs évoqués dans le livre ?
Il n’existe pas véritablement de meilleur modèle marketing. La pire des choses est d’ailleurs de vouloir copier-coller ou d’avoir la folie des grandeurs. On le voit bien aujourd’hui avec l’exemple de plusieurs stades en France vraisemblablement surdimensionnés. Alors que le « bon modèle » est celui de la Juventus avec un nouveau stade doté d’une capacité de 30 000 places de moins que le Stadio Delle Alpi ! La mise en place d’un dispositif marketing se veut utile pour l’ensemble des clubs. Quel que soit leur chiffre d’affaires, leur histoire ou leur rayonnement, chaque club possède des atouts. L’un des moyens de différenciation est celui du palmarès. C’est un facteur clé. Toutefois, il serait erroné de penser que seul l’aspect sportif peut faire la différence auprès des publics cibles. La localisation tout comme la zone de chalandise jouent souvent un rôle majeur. En tout cas, l’absence de titre n’est pas rédhibitoire. Le TFC a par exemple trouvé un positionnement original. À défaut d’être l’agitateur sportif de la Ligue 1, le club assume clairement un rôle d’agitateur médiatique du championnat en étant novateur sur les questions digitales.
Quelles sont les premières démarches à suivre pour un club afin de réussir d’un point de vue marketing ?
Il s’agit d’avoir une réflexion autour de la marque en amont, dans la construction de l’offre. Une entité sportive professionnelle doit avant tout définir la manière dont elle souhaite être perçue. Sur la base d’une identité clairement définie, elle doit segmenter et se positionner sans jamais se trahir. Le fan peut comprendre que son équipe perde des matchs, en revanche, il n’est pas en mesure d’accepter que l’identité ou l’image de son club soit bafouée. L’identité n’est pas négociable, elle ne se vend pas et doit être priorisée. Les opérations de marketing qui en découlent ne doivent en aucun cas s’écarter de cette vision stratégique, elles doivent nourrir le positionnement du club et favoriser sa différenciation. Plus encore, le défi le plus difficile pour le club consiste à être légitime durablement. Tout cela permet de créer de la valeur à la marque-club. Les dirigeants doivent par ailleurs combattre une vision trop souvent court-termiste du football et investir dans l’invisible. La cellule marketing ne doit pas être oubliée, elle doit être au contraire renforcée et professionnalisée.
Quelles seront les recettes supplémentaires pour l’Olympique Lyonnais via l’exploitation du Parc OL ?
L’OL est le premier club français à être côté en Bourse depuis 2007 et à avoir construit une enceinte sportive 100 % privée. Le Grand Stade est un bijou technologique qui conjugue confort, interactivité et sécurité pour tout type de spectacle. Le Stade a été imaginé comme un véritable lieu de vie au cœur d’un complexe multi-activités ouvert toute l’année. Grace à l’exploitation de son complexe, le club devrait générer environ 70 M€ supplémentaires en année pleine. Après l’Euro, la question du naming devrait être réglée : 8 à 10 M€ par an sont espérés. A l’occasion du dernier match joué à guichets fermés, le club a réalisé 25 % du chiffre d’affaires annuel en billetterie de Gerland. Le Parc OL est au cœur d’une stratégie à long terme du Groupe OL basé sur un amortissement à 30/35 ans qui pourrait se réduire si le club est performant sur la scène européenne.
Quelles seraient les conséquences d’un retour en équipe de France de Karim Benzema pour la FFF et les sponsors ? Le « sportif » doit-il primer sur le comportement des Bleus ?
Je mesure et analyse l’image de la marque de l’équipe de France de football et les entités qu’elle regroupe, ses emblématiques joueurs, ses entraîneurs, ses sponsors, et leur impact, depuis 10 ans. Suite au scandale de Knysna et l’image désastreuse des Bleus, la contribution financière des sponsors de la Fédération a été indexée à la côte d’amour des Bleus auprès de l’opinion publique. Karim Benzema, qui n’a rien gagné avec les Bleus et dont l’image perçue était déjà écornée avant l’affaire dite de la sextape, ne séduit ni le grand public ni les marques de prestige. En dépit de la levée récente de son contrôle judiciaire, cette nouvelle affaire, dont la FFF se serait bien passée, ne devrait pas embellir sa côte de popularité à l’égard des fans et des sponsors. Pourtant Didier Deschamps espère pouvoir compter sur lui lors de l’Euro. A ce stade du dossier, il est présumé innocent. Le risque de désengagement des partenaires reste très limité. Il reste d’ailleurs une tête d’affiche pour son équipementier Adidas.