Rédacteur en chef d’AUTOhebdo depuis 2017, Romain Bernard a racheté l’été dernier, en compagnie de Didier Calmels, le célèbre hebdomadaire de sport automobile au groupe Michel Hommell. Entre une nouvelle formule papier enrichie et plus haut de gamme, une montée en puissance sur le digital et une actualité sport auto particulièrement dense, Romain Bernard nous détaille dans un grand entretien sa stratégie de fond et ses projets à venir, avec notamment l’arrivée d’un nouveau site pour 2021.
Bruno Cammalleri : pouvez-vous nous présenter les grandes lignes de votre parcours ?
Romain Bernard : j’ai rejoint AUTOhebdo en 2003 pour un stage de six mois alors que j’étais étudiant en journalisme. Grâce à certaines connexions d’anciens journalistes d’AUTOhebdo, j’ai fait quelques piges pour Le Figaro dès l’âge de 21 ans. J’ai ensuite travaillé pour VSD, l’Auto Journal et l’Auto Journal 4×4. Puis, avec mes camarades d’Echappement, nous avons lancé Motorsport Magazine qui appartient aujourd’hui à Nicolas Gourdol. En 2009, j’ai accepté de grimper rédacteur en chef adjoint d’AUTOhebdo au côté de Philippe Séclier qui dirigeait la rédaction et dont le profil me plaisait énormément. J’ai collaboré à son projet jusqu’en 2017 où je lui ai succédé, devenant rédacteur en chef de ce magazine à 34 ans.
Bruno Cammalleri : c’est à ce moment-là que vous faîtes une rencontre importante…
Romain Bernard : c’est à cette période que je rencontre en effet Didier Calmels. On écrit ensemble l’ouvrage « Jour de course » (ndlr : L’Autodrome éditions, publié le 1er septembre 2017) qui est une longue interview entre un journaliste de sport automobile et un homme passionné par ce sport et qui a eu une vie incroyable, en étant notamment patron d’une écurie de Formule 1 (ndlr : Didier Calmels a fondé l’écurie Larousse-Calmels dans les années 1980) à l’âge de 37 ans ! C’est quelqu’un qui fait autorité dans le monde des affaires et qui est un véritable amoureux de course automobile. Il continue de rouler aujourd’hui à 69 ans. À un croisement de ma carrière, à 34 ans, il a été celui qui m’a convaincu d’accepter le poste de rédacteur en chef d’AUTOhebdo, dans une conjoncture loin d’être évidente, car je reconnais avoir douté à un moment où naissaient d’autres envies personnelles en moi.
Bruno Cammalleri : quelle est cette conjoncture dont vous parlez pour le sport automobile ?
Romain Bernard : tout le monde ou presque se plait à taper sur le sport automobile, sans en maîtriser le sujet. Sauf qu’en attendant, la FFSA (Fédération française du sport automobile) a publié avec le cabinet EY en 2019 un baromètre des sports mécaniques en France (ndlr : Moteurs de croissance : Réalités, enjeux et perspectives économiques de la filière des sports mécaniques en France, novembre 2019), lesquels génèrent un volume de chiffres d’affaires de 2,3 milliards d’euros, soit à mi-chemin entre le football et le golf. Des milliers de personnes vivent du sport automobile en France : pilote professionnel, société d’événementiel, sous-traitant de pièces détachées, ingénieurs, managers, fabricants de combinaisons, de casques… c’est bien de rappeler que le sport automobile n’est pas un micro sport, mais un sport qui a un poids économique important.
Bruno Cammalleri : vous décidez malgré tout de continuer l’aventure ?
Romain Bernard : oui ! En novembre 2019, Michel Hommell m’a fait la proposition de racheter AUTOhebdo. Après la parution du livre « Jour de course », j’ai toujours entretenu d’étroites relations avec Didier Calmels. On avait presque ritualisé notre dîner du lundi soir, après les bouclages. Je lui ai parlé de la proposition de Michel Hommell et il a voulu m’accompagner dans cette aventure. Dans les faits, il s’agit d’un MBO (Management buy-out), c’est-à-dire que Didier vient en soutien financier de la rédaction existante. Il n’est pas arrivé avec l’idée de « je vais tout révolutionner ». Il s’est dit : « je respecte le titre, il doit survivre et je vais vous aider en apportant toutes mes compétences afin qu’il se développe et s’adapte au mieux au virage structurel de la presse ». Tout l’objet de notre projet, avec Didier, n’est pas de se limiter à la simple reproduction du modèle historique sans quoi, avec l’érosion inéluctable des ventes en kiosque qui frappe l’ensemble de la presse, c’est la mort assurée. Or, AUTOhebdo possède tous les atouts pour se jouer de ça !
Bruno Cammalleri : quelle réflexion conduisez-vous pour réussir la reprise d’AUTOhebdo ?
Romain Bernard : notre chance, et notre malheur aussi, c’est d’être un journal de niche. Nous sommes plus exactement un micro-influenceur. On fait autorité dans notre secteur d’activité qu’est le sport automobile. Sans arrogance, je suis convaincu que nous sommes les meilleurs dans ce que l’on fait. Une annonce dans notre journal aura plus d’impact que dans un média généraliste. À force d’être baigné dans cet univers, nous avions perdu conscience de cette force. On a eu une mauvaise approche dans le discours et on pensait être un petit journal de sport automobile dans le vaste paysage médiatique comparé à L’Équipe, au Figaro, à Libération, au Monde… on en venait presque à s’excuser d’exister et notre positionnement en termes de publicité n’était pas clair.
« Un havre de paix pour vivre sa passion sans culpabiliser »
Tout le travail que l’on a fait avec Didier Calmels durant le premier confinement fut de passer des heures à scanner ce qu’est réellement AUTOhebdo. Cela nous a permis de nous réconforter et on peut ainsi affirmer notre positionnement de premier média de sport automobile en France. Que ce soit 10 ou 20 fois plus petit que le foot n’est pas du tout le débat ! Il a fallu nous recentrer sur nous-même et y réfléchir avec une approche de communauté. Aujourd’hui, le sport automobile est agressé et la réaction que l’on veut proposer à tous les amoureux de sport automobile, c’est de venir profiter de cette communauté qui est un havre de paix pour vivre sa passion sans culpabiliser.
Bruno Cammalleri : suite à ces constats, quels sont les premiers choix éditoriaux que vous décidez de mettre en place ?
Romain Bernard : il fallait nous rouvrir au marché français. La stratégie du Groupe Michel Hommell (ndlr : qui possédait le journal avant la reprise) c’était : à Echappement la France, à AUTOhebdo l’international. À Echappement le sport « abordable » et à AUTOhebdo le prestige et le rêve avec son coté inaccessible. Sur le papier, pour bien expliciter le projet, il a fallu exprimer notre volonté de reprendre notre liberté d’action et de pensée. Et donc nous avons réintroduit sur le plan éditorial une couverture française pour aller au contact de nos lecteurs qui se trouvent principalement en France et en Belgique. Il nous fallait traiter beaucoup plus l’actualité des circuits et des rallyes français. Pourquoi ? Parce que le rallye, par exemple, représente 10 000 participants sur le seul territoire français. Soit 10 000 personnes à qui nous tournions jusqu’alors le dos.
Bruno Cammalleri : quels autres changements apportez-vous pour monter en gamme ?
Romain Bernard : pendant le premier confinement, nous avons été en contact avec beaucoup d’acteurs de notre milieu, et notamment les annonceurs. On a entendu et reçu cinq sur cinq le message suivant : le contenu d’AUTOhebdo est qualitatif, le contenant beaucoup moins. On a commencé par changer la qualité du papier. Le papier de couverture est passé de 90 à 135 g/m2 et le papier intérieur de 57 à 65 g/m2. Puis la pagination est passée de 72 à 100 pages par semaine, ce qui est un tour de force. Car nous avons vraiment ajouté 35% de contenu – Classic, France, Esport, Karting, Shopping, etc. -, et non pas dilué l’existant qu’étaient historiquement la F1, l’Endurance, le WRC, etc. Tout ce qui faisait AUTOhebdo jusqu’à 2019 a été maintenu.
« C’est un sport élitiste mais qui a de vraies valeurs et elles méritent cette montée en gamme »
Nous avons donné plus de place, plus d’air et un aspect plus graphique à la maquette qui a évolué. Je suis d’ailleurs partisan de mettre peu de photos sur la maquette par double pages. La multiplication des photos n’apporte pas un message différent. Trop de photos tue l’émotion et le discours. Moins, ça fait plus. Je préfère une belle photo à cinq images moyennes, en misant au maximum sur la sobriété pour redonner de la force au texte et à la photo. Nous avons aussi retravaillé la typographie pour proposer quelque chose de différent et de beaucoup plus haut de gamme en ayant bien à l’esprit cette idée que notre sport est probablement l’un des plus élitistes au monde. C’est un milieu CSP++. Tous nos lecteurs ne sont certes pas millionnaires, mais on sait que la pratique de notre sport, même au plus bas de l’échelon comme une séance de 10 minutes de karting, a un vrai coût. Il ne faut ni culpabiliser ni s’excuser de cela. C’est un sport élitiste mais qui a de vraies valeurs et elles méritent cette montée en gamme.
L’âge moyen de notre lectorat est assez élevé, 55 ans. Sur le digital, c’est aux alentours de 40 ans. Sur le papier, l’approche est différente : quand on consomme des écrans toute la journée, on a ensuite besoin de davantage de repos pour l’œil sur le papier. Nous avons fait notre auto-critique car notre ancienne maquette avait trop de couleurs, surtout de jaune et de rouge. Or, on peut apporter de l’élégance et du dynamisme sans forcément recourir à de gros aplats de couleurs. Grâce au blanc, la sobriété redonne du poids aux photos. Il ne faut pas oublier que les voitures sont elles-mêmes bariolées dans tous les sens avec les sponsors, etc. Voilà une partie du travail que nous avons mené jusqu’à présent.
Bruno Cammalleri : cette nouvelle formule aura-t-elle une extension jusqu’au site internet d’AUTOhebdo ?
Romain Bernard : ce style sera développé sur le nouveau site qui est en phase de construction et qui devrait arriver entre mai et juin 2021. Toute sa réflexion est menée avec Christophe Duhamel, fondateur de Marmiton, la plus belle réussite digitale des vingt dernières années en France, et qui est associé dans ce projet également aux côtés de Didier et moi sur le plan du numérique.
Bruno Cammalleri : comment vous-projetez-vous à court et moyen terme avec cette nouvelle formule ?
Romain Bernard : tout d’abord, est-ce qu’en 2020 un média de sport automobile existe en version papier ? Oui. Est-ce qu’il existe en digital ? Oui. Mais si on se projette à dix ans, en 2030, AUTOhebdo sera-t-il encore disponible en papier ? Peut-être, je l’espère sincèrement ! Nous avons un vrai socle en termes de lectorat et une très faible érosion des ventes. On est même à +0.1% depuis notre reprise du journal le 1er juillet 2020, alors qu’entre-temps la pagination et le prix ont augmenté, et qu’il y a eu à peu près la moitié des kiosques Relay fermés, ce qui impacte de 15% nos ventes. La crise de Presstalis – que nous avons quitté pour MLP – ne nous aide pas non plus car quasiment tous les dépôts de presse dans le sud de la France étaient fermés cet été. Ce contexte fait que nous aurions dû théoriquement baisser de 20 à 25% nos ventes. Or, quand on fait le bilan, nous en sommes en progression sur un marché de la presse nationale en baisse de 15%. Nous sommes vraiment très heureux de ces chiffres. Est-ce la nouvelle formule qui a trouvé son lectorat ? La densité de courses depuis juillet sur un calendrier resserré qui fait que nous sommes portés par l’actualité ? C’est un ensemble de choses.
Bruno Cammalleri : avec ce projet de reprise d’AUTOhebdo, quelle est votre stratégie sur le digital ?
Romain Bernard : dès le mois de juillet, nous avons recruté un community manager à temps plein, car certes nous faisions un très bon travail journalistique, mais la notoriété ne suivait pas. Nous avions le savoir-faire, mais pas le faire-savoir. On souhaite véritablement casser notre image et la rajeunir sur les réseaux sociaux. Nous devons rappeler que nous sommes un média leader sur notre marché. Je suis convaincu qu’ AUTOhebdo est dans le top 3 des titres de sport automobile dans le monde.
Et en plus, nous avons l’atout d’avoir une déclinaison papier, ce qui est une marque extérieure de « richesse » et de qualité qui nous distingue des pure-players. Tout le monde n’est pas capable de faire ça, nous on l’est, et nous en sommes fiers. On est accroché à ça et on veut le perpétuer. Sur Instagram, nous avons quasiment doublé nos followers en un trimestre et la dynamique est bonne. Nous allons donc poursuivre nos efforts sur ce plan. Si l’essentiel des changements sont déjà faits sur le papier, il y a encore beaucoup à faire sur le digital. Je crois à fond à l’aspect community management que nous poussons. Nous venons également de lancer un JT vidéo de 2 minutes disponible trois fois par semaine, les mardis, vendredis et dimanches. Et c’est un succès.
Bruno Cammalleri : le live des 24 Heures du Mans a été un temps fort de votre année 2020…
Romain Bernard : avec Didier Calmels, nous avons toujours pensé qu’une difficulté est un écueil pour les faibles et un tremplin pour les ambitieux. Avec le huis-clos des 24 Heures du Mans, il nous fallait proposer une expérience différente à tous ces gens qui ne pouvaient pas être dans les tribunes comme chaque année. Soit on continuait de proposer un live-text de la course, soit on saisissait l’opportunité de nous lancer de façon un peu accélérée dans la vidéo. Laquelle est un axe central de notre développement. Nous avons décidé de faire ce live vidéo une semaine avant la course. En l’espace d’une semaine, nous avons trouvé des annonceurs qui n’auraient jamais communiqué sur la version papier d’AUTOhebdo ou même sur notre site internet. On ajoute une corde à notre arc pour leur proposer toute une galaxie de solutions, que vous soyez annonceur ou consommateur d’informations.
On veut à terme constituer une plateforme qui ne soit plus simplement un journal ou un site internet, mais à la fois un réseau social, un magazine, ainsi que de l’événementiel afin que notre communauté – qui est encore trop spectatrice de notre sport – puisse le vivre de l’intérieur. On veut leur faire vivre différemment leur passion. Christophe Duhamel nous apporte son expertise « communautaire » dans cette refonte de notre univers digital, en proposant un produit qui ne serait plus vertical mais horizontal où le journaliste et l’internaute seraient à peu près au même niveau. Cela est au cœur de la réinvention du titre AUTOhebdo. Mais il me semble que c’est la problématique de beaucoup de médias. Dire « venez chez nous écoutez la parole divine » est une erreur commise par trop de monde. On veut réussir notre pari d’inclure toute cette communauté en mode horizontal. C’est l’objet du site qui est en train d’être pensé, avec bien sûr beaucoup de vidéos, un peu façon Netflix, avec de l’agrégation de contenus en provenance des différentes équipes, pilotes, etc. Mais cela ne suffira pas. AUTOhebdo va doucement monter en puissance et créer ses propres contenus.
Bruno Cammalleri : pouvez-vous nous parler du nouveau partenariat entre AUTOhebdo et Parions Sport ?
Romain Bernard : bien avant la reprise d’AUTOhebdo, j’avais lancé avec mes équipes une page de paris sportifs qui était la synthèse statistique de la performance des différentes écuries et pilotes sur le prochain Grand Prix de F1 à venir. Dans un coin de ma tête, l’idée était de mêler l’éditorial avec de la publicité à terme. Sans être du brand content car trop de médias déguisent de la publicité en contenu éditorial. Ce n’est pas ce que nous voulons faire. Avec Parions Sport, on garde notre vraie ligne éditoriale. On écrit ce que l’on a envie d’écrire. On a un partenaire qui n’a plus envie d’être seulement sur le foot, le rugby ou le basket, et qui a la volonté d’arriver sur la Formule 1. Nous avons abordé Parions Sport et ils ont été réceptifs à notre projet.
« Notre grande fierté est d’avoir un annonceur hors captif. C’est une satisfaction et un très bon signal que l’on envoie »
On propose des pronostics sur les dernières courses de F1 sur cette saison 2020, avec cette idée de leur prouver qu’AUTOhebdo peut apporter de l’expertise dans les paris et donner envie, de façon ludique aux gens, de se lancer dans ces paris, mais sans être le Paris Turf de la F1. Nous sommes convaincus qu’avec une bonne connaissance de ce sport, on peut s’amuser, parier et gagner de l’argent. Quelqu’un qui est assez introduit dans ce sport et qui le consomme régulièrement ne sera pas du tout largué sur les possibles résultats d’une écurie ou d’un pilote. Bien sûr, cela demeure un sport mécanique et la Formule 1 n’est pas une science exacte. En revanche, on peut expliquer que telle équipe, tel pilote, sur tel circuit, a plutôt tendance à se positionner à tel niveau sur la grille. On s’appuie sur les chiffres et notre expérience de la Formule 1 pour apporter quelque chose d’éditorial et non pas de la publicité déguisée. Parions Sport vient chercher chez nous de l’expertise et pas seulement de la publicité. Notre grande fierté est d’avoir un annonceur hors captif. C’est une satisfaction et un très bon signal que l’on envoie. Nous ne sommes pas condamnés à rester en cercle clos. Je suis ravi du fonctionnement que l’on a su trouver, et le retour de Parions Sport est excellent. Pour AUTOhebdo, l’année 2020 était notre tour de chauffe en raison de la reprise du titre et de la pandémie de Covid-19. La vraie performance sera délivrée à plein régime en 2021.