Finale à suspense de la Formule E et 24 Heures du Mans : entretien avec Gilles Della Posta d’Eurosport

Quelques jours après la fin de la saison 7 de Formule E à Berlin, Eurosport diffuse en direct et en intégralité du 18 au 22 août la 89ème édition des 24 Heures du Mans, la plus mythique des courses d’endurance. Le journaliste et spécialiste sport automobile d’Eurosport Gilles Della Posta revient pour sportsmarketing.fr sur une saison 7 à suspense de Formule E et nous dévoile les coulisses de sa préparation pour les 24 Heures du Mans à l’heure de l’arrivée des Hypercars.

Gilles Della Posta - Photo Eurosport
Gilles Della Posta – Photo Eurosport

Bruno Cammalleri : dans cette saison 7 de la Formule E, qui selon vous est parvenu à sortir du lot dans une hiérarchie ultra serrée ? 

Gilles Della Posta : le parcours du champion du monde de cette saison 7 Nyck de Vries est finalement assez étonnant et très « up and down ». Il a remporté la première course de la saison en Arabie-Saoudite puis à Valence en avril, mais enchaînant aussi avec des positions lointaines et des abandons. On voit bien que la saison était très compliquée, y compris chez Mercedes. Les teams sont vraiment sur le fil du rasoir avec cette technologie (gestion de l’énergie en particulier) et quand ils tentent quelque chose soit cela fonctionne très bien soit pas du tout. Concernant Nyck de Vries, ce n’est pas vraiment une révélation : il a été champion de Formule 2 en 2019 avec ART Grand Prix et il est sans doute l’un des pilotes les plus doués en sports mécaniques. Au niveau des équipes, ce fut aussi très serré avec seulement 15 points d’écarts entre les trois premières au classement, soit Mercedes, Jaguar et DS Techeetah. On peut même ajouter Audi et Envision Virgin à un point du podium juste derrière.

In fine, difficile pour un pilote ou un team de sortir vraiment du lot et selon moi l’élément fort de cette saison c’est finalement le côté ultra-resserré de la hiérarchie. Je n’ai jamais vu autant de pilotes et d’équipes pouvant être titrés sur la dernière course. Imaginez un peu en background, tous les services de communication des équipes se demandant s’il faut faire des tee-shirts pour célébrer un éventuel titre ! Je pense qu’il y a des exemplaires collectors qui ont dû rester dans les cartons !

Bruno Cammalleri : 18 pilotes qui peuvent remporter le titre avant le dernier meeting c’est sympa ou c’est une loterie ?

Gilles Della Posta : sur le principe c’est très bien d’avoir un championnat aussi ouvert. Ça casse les codes et ça remue pas mal de choses dans le milieu des sports mécaniques. Après, est-ce que cela est trop ou pas, je me garderai bien de le juger ! Il serait intéressant de sonder le public pour savoir. Le règlement sportif, essentiellement le format de qualifications, rebat énormément les cartes à chaque course, et on s’est donc retrouvé avec cette situation où quasiment tous les pilotes pouvaient remporter le titre avant Berlin. Les équipes se sont arrachés les cheveux avec ce système. Beaucoup de suspense et on peut se demander si ce n’est pas l’excès inverse de certaines disciplines où l’on peut prédire les résultats avant même le début de saison ou certaines saisons de Formule 1 où la hiérarchie était figée à l’extrême. Surtout quand on sait que les deux séries se regardent en chiens de faïence.

Bruno Cammalleri : en quoi le cru 2021 des 24 Heures du Mans sera-t-il spécial ?

Gilles Della Posta : il n’y a que des éditions spéciales au Mans ! Ce qui est sûr c’est que l’on est en train tout doucement de sortir d’une période compliquée pour Le Mans où le match se résumait entre Toyota et quelques faire-valoir. Cette année, il y aura une Alpine face au Toyota et nous avons vu l’an passé qu’elle pouvait être une vraie menace. L’Alpine 2021 aura la même base technique que la Rebellion qui a finit 2ème en 2020 et qui aurait très bien pu faire tomber Toyota. Alpine va certainement pousser Toyota. Il faudra aussi suivre les deux Glickenhaus qui sont très spectaculaires esthétiquement et qui marchent très bien pour un constructeur qui arrive au Mans. Avec leurs moyens, je trouve que c’est pas mal ! Or cela ne fonctionne pas toujours très bien quand on arrive au Mans, je pense par exemple à Nissan où les voitures passaient des heures dans les stands après seulement quelques tours… Ce fut un réel échec technique pour eux. Toyota reste bien sur grand favori pour cette édition 2021, mais il faudra suivre de près l’Alpine, les Glickenhaus, et les LMP2 qui ne seront pas loin des Hypercars. On pourrait avoir un scénario complètement dingue ! Et je ne parle même pas de l’année prochaine avec l’arrivée de Peugeot et de 2023 avec Audi, Porsche et Ferrari… ce sera un regain d’intérêt énorme.

On se dirige vers de beaux jours pour le Mans après une période compliquée

Il y a par ailleurs une vraie synergie qui s’est mise en place entre d’un côté l’ACO (Automobile Club de l’Ouest), le WEC (World Endurance Championship) et l’IMSA (International Motor Sports Association), qui est le championnat d’Endurance US, de l’autre. Les voitures pourront disputer les courses de WEC comme d’IMSA. C’est une solution très compliquée à mettre en place car ce sont de grosses organisations qui devaient se mettre d’accord autour de la table, mais qui est très intelligente. Ils ont réussi à le faire et c’est un super signal pour les fans. Nous sommes à l’aube d’une période somptueuse que l’on a connu quand il y avait Porsche, Audi, Toyota, Peugeot… on se dirige vers de beaux jours pour le Mans après une période compliquée.

Bruno Cammalleri : comment préparez-vous l’exercice du commentaire des 24 Heures du Mans ?

Gilles Della Posta : pour des questions de programmation, nous avons fait l’impasse uniquement sur la première séance d’essais libres de mercredi 18 août. Pour le reste, on diffuse tout en direct. Nous serons trois journalistes commentateurs – Adrien Paviot, Romain Hussonois et moi-même – et trois consultants Éric Helary, Paul Belmondo et Franck Lagorce. Nous allons nous relayer pendant les 24 heures de course et il n’y aura pas une minute sans commentateurs. J’arrive à dormir un peu, mais je garde l’application Eurosport à côté de moi au cas où il se passerait quelque chose. On n’est pas tout à fait en sommeil profond et on ouvre vite les yeux en cas de fait important pendant la nuit, à l’image de l’an passé avec l’incident sur la Toyota n°7 à 3h du matin. On dort sans vraiment dormir, mais ça reste moins difficile que pour les pilotes. Nous, on peut bloquer sur un mot sans pour autant finir dans le rail !

On se prépare en parlant beaucoup avec les pilotes, les équipes, les mécaniciens pour tenter d’y voir plus clair dans cette grande partie de poker menteur que représente une course. Quand on entend une phrase du type « non, nous n’attaquions pas pendant les qualifs », à nous de recouper nos informations et ce que l’on sait de la course pour savoir si c’est une info ou de l’intox de la part d’un team. On travaille donc pour avoir des contacts plus privilégiés dans les équipes afin de récolter davantage de détails. Quand on demande si je suis prêt avant les 24 Heures du Mans, ma réponse est toujours « nous ne sommes jamais prêts pour les 24 Heures ! ». Cela reste vrai pour les équipes, les pilotes et les voitures. Il y a plus de 180 pilotes et donc autant d’informations à collecter et à maîtriser pour nous. La préparation ne démarre pas une semaine ou un mois avant pour nous. La préparation, c’est tout le temps, car il y a tout le reste de la saison d’Endurance. Sur chacune de ces épreuves on prépare Le Mans indirectement. Et même sur la Formula E nous préparons Le Mans, car plusieurs pilotes sont engagés dans les deux programmes comme Antonio Felix Da Costa, Nyck de Vries, Alex Lynn ou Sam Bird. De plus, il s’est passé beaucoup de choses depuis l’édition 2020 avec l’arrivée d’un nouveau constructeur dans la catégorie reine (Glickenhaus) ou encore l’annonce du retour de Peugeot pour 2022. On a été régulièrement tenu en haleine.

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A noter que le coup d’envoi de l’événement sera donné dès 11h35, avant le départ à suivre dès 15h45. La course est à suivre en direct et en intégralité sur Eurosport 2, l’appli Eurosport et Eurosport.fr. En parallèle, Eurosport proposera une expérience immersive avec un dispositif multicam et plusieurs caméras embarquées au sein des équipages.

Photo titre : James Moy / Getty Images