Il couvre les Grands Prix de Formule 1 pour l’Equipe depuis le Grand Prix de Hongrie 2003, soit l’année du sixième titre de Michael Schumacher. Les arcanes et les personnages du paddock n’ont aucun secret pour lui. Sportsmarketing a rencontré le monsieur Formule 1 de l’Equipe qui est également auteur de l’ouvrage « Les années Hamilton » (Solar Editions / L’Equipe).
Bruno Cammalleri : comment se déroule la couverture d’un Grand Prix de Formule 1 ?
Frédéric Ferret : un Grand Prix se prépare une semaine voire quinze jours en amont le temps de trouver des sujets. Il faut constamment se renouveler quand on est un quotidien. Ce temps de préparation dépend aussi du Grand Prix. Il faut toujours des éléments forts permettant d’avoir une entrée remarquée dans le journal. L’Equipe suit tous les sports, ce qui nécessite d’écrire sur des éléments – souvent le samedi matin – pour que le lecteur s’intéresse au Grand Prix en y entrant de la manière la plus originale possible. Surtout de nos jours avec Canal+ qui fait du super boulot, on ne peut pas se contenter de dire « tel pilote arrive avec un nouveau moteur » ou « tel autre avec un nouvel aileron avant ». L’actualité brute ne sert plus à rien et n’importe quel site internet sera capable de dire qui est premier des essais libres ou des qualifications. Nous sommes un quotidien, mais on a dû apprendre à faire des sujets magazine en nous demandant ce que l’on pouvait apporter de plus à la personne qui va acheter L’Equipe le lendemain matin. Il faut donc construire ce plan d’attaque en amont et prendre des rendez-vous auprès des écuries.
Autrefois le jeudi après-midi était dédié aux médias et nous avions les pilotes à notre disposition ainsi que les ingénieurs et les directeurs d’écuries en fonction des rendez-vous prévus. Le media day du jeudi a été déplacé le vendredi matin, ce qui complique notre tâche car on doit présenter le Grand Prix qui débute le vendredi. On a les pilotes qui se suivent les uns derrière les autres, ce qui est moins intéressant et moins durable comme actualité car les pilotes roulent dès le vendredi après-midi avec une actualité qui en chasse tout de suite une autre. Le samedi est dédié au compte-rendu des qualifications et le dimanche à celui de la course.
Bruno Cammalleri : justement, pouvez-vous nous donner un exemple d’angle éditorial choisi cette année ?
Frédéric Ferret : je peux citer l’entretien avec Lewis Hamilton avant l’Azebaïdjian ou celui avec Mario Andretti à Miami. Cela ne se trouve pas partout ! A Barcelone par exemple nous savions que toutes les équipes arrivaient avec beaucoup d’évolutions techniques. On allait bien sur faire un papier sur ces nouveautés et sur ce que ces évolutions allaient changer. Sur les deux courses avant Barcelone, Imola et Miami, j’ai écrit des articles plus orientés économie du sport sur l’organisation et la budgétisation de l’apport de nouvelles pièces. L’angle était plus compliqué car la F1 reste un monde secret. Il a fallu s’y prendre très en amont pour trouver les bonnes infos et pouvoir les faire confirmer car on ne peut pas écrire n’importe quoi ! J’ai eu l’idée de cet article en rentrant de la course de Djeddah fin mars. C’est l’avantage des longs voyages en avion et des attentes dans les aéroports, c’est qu’on peut avoir des idées qui naissent comme cela ! Par exemple, entre le moment de la décision de faire un nouveau plancher de Formule 1 et le moment où il sort, le délai est de 2 mois : il faut le tester en soufflerie à échelle réduite ce qui nécessite de produire à 60%, le tester, peut être le faire revalider et enfin lancer la construction.
Bruno Cammalleri : combien de Grands-Prix couvrirez-vous cette saison ?
Frédéric Ferret : cette saison je vais couvrir 19 ou 20 Grands Prix sur place. Erik Bielderman vient sur les manches européennes car désormais il est responsable de la page produits avec notamment les essais automobiles. Mais tout le monde doit savoir faire un peu de F1 comme de WEC ou de rallye. Il faut jongler avec les autres disciplines du sport automobile pour notre rubrique sport mécanique.
Bruno Cammalleri : comment développez-vous vos affinités avec les pilotes et autres membres du paddock pour avoir la bonne information ?
Frédéric Ferret : je pense que ça ne se construit pas. C’est quelque chose de naturel, d’humain. C’est de l’ordre de « je t’aime ou je ne t’aime pas ». Avec Lewis Hamilton on ne s’aimait pas au début mais j’étais là dès le début de sa carrière en 2005 en F3 Euro Series. par ailleurs à l’époque avec Laurent Dupin nous étions les seuls à défendre Mark Webber. Aujourd’hui nous avons toujours le plaisir d’échanger avec lui dans le paddock et il me parle volontiers de son protégé Oscar Piastri.
Bruno Cammalleri : la façon de travailler pour les journalistes dans le paddock a-t-elle réellement changé depuis l’arrivée de Liberty Media aux commandes de la Formule 1 ?
Frédéric Ferret : le coronavirus a changé les pratiques, mais je ne suis pas si certain que ce soit Liberty Media qui cherche à avoir plus de contrôle. Avant c’était un sport qui paraissait fermé mais qui en fait permettait un accès quasi quotidien aux pilotes quand on en connaissait les arcanes. Peut-être que cela devenait pesant pour eux ? Je pense que tout le monde a intérêt discrètement de nous repousser un peu. Nous n’en sommes pas encore au niveau du football mais on commence à avoir une petite sensation dans ce sens. Il y a quelques années la Formule 1 n’était plus du tout à la mode, il y avait de moins en moins de journalistes. Nous étions seulement 20 l’année du coronavirus. Nous étions 250 cette année à Imola et je pense que nous serons 300/350 à Silverstone. C’était plus facile d’accepter que les journalistes parlent quand il n’y en a que 20 que quand il y en a 350. C’est surement la rançon du succès.
Bruno Cammalleri : comment se porte la Formule 1 aujourd’hui ?
Frédéric Ferret : la Formule 1 était un sport de vieux mais il y a un effet Netflix indéniable qui a permis de totalement rajeunir l’audience de ce sport. La jeune génération a été totalement capté par Drive to survive en quelques saisons. Mais Netflix ne fait pas tout et il ne faut pas les transformer en faiseurs de miracles. Je ne suis pas sûr que le tennis sera totalement changé avec Netflix. Drive to survive est sorti à un moment où la covid-19 a totalement bouleversé nos vies et notre perception du sport, d’autant plus que la FIA et la F1 ont été les premiers à relancer la machine des compétitions internationales après 3 mois d’ennui et d’enfermement.
Par ailleurs les pilotes de la nouvelle génération étaient toujours connectés et proposaient des courses virtuelles qui ont su rencontrer leur public. Cela a entretenu la passion avant la reprise de la F1 (début juillet 2020 en Autriche) qui était le premier sport mondial à se lancer après plusieurs mois de confinement. La saison 2020 proposée n’a pas du tout était au rabais et cela a confirmé le premier engouement que Netflix avait lancé. Les pilotes ont aussi tiré leur épingle du jeu en construisant leur personnage comme Ricciardo le jovial ou Verstappen le méchant !
Bruno Cammalleri : l’ouverture de la Formule 1 aux réseaux sociaux s’inscrit-elle dans cette trajectoire de renouveau ?
Frédéric Ferret : Liberty Media cherchait à atteindre le jeune public et tous les pilotes même les plus anciens étaient ravis d’avoir enfin cette possibilité-là. Pour des jeunes qui n’ont pas ou peu de connaissances de ce sport ces publications digitales donnent ensuite des profils d’hyper connaisseurs. Ils ne se contentent pas de dire « Ah Lando Norris qu’est-ce qu’il est drôle ! ». Ils savent ce qu’est un DRS ou une stratégie à trois arrêts. C’est impressionnant !
Bruno Cammalleri : la Formule 1 a-t-elle perdu sa culture de la rareté avec l’augmentation du nombre de Grands Prix ?
Frédéric Ferret : cette nette augmentation du nombre de Grands Prix c’est la nouvelle politique de la F1. On le voit aussi en Ligue des Champions avec des matchs de poules supplémentaires pour la nouvelle formule prévue en 2024. C’est comme ça… mais je partage cet avis que la F1 a effectivement perdu sa culture de la rareté. Multiplier les rendez-vous au détriment des éléments historiques qui ont participé à la construction de ce sport, c’est dommage. Les Grands Prix présents au calendrier 1950 comme Silverstone, Monaco, Monza et Spa devraient être préservés. D’un autre côté j’étais sceptique sur Miami et une fois sur place j’ai été bluffé par le succès et l’engouement autour de cet événement. Pour moi, Miami fait déjà parti de l’histoire de la F1. Ce sera le Monaco des américains. Singapour aussi avait réussi d’entrée à faire forte impression en faisant de son Grand Prix le Monaco de l’Asie. C’est comme cela que l’on devient intouchable au calendrier. S’agissant du nombre de Grands Prix, 20 était une bonne limite.
Bruno Cammalleri : vous avez publié « Les années Hamilton » (Solar Editions / L’Equipe) en février 2022. Pourquoi ce livre sur le septuple champion du monde britannique ?
Frédéric Ferret : parce qu’il mérite ce livre ! Je suis un homme de l’écrit, j’aime écrire. Je trouvais que son parcours devait être raconté de cette manière. Lewis c’est une histoire de film de cinéma et je pense qu’un jour il y en aura un. J’aime beaucoup le personnage qu’il est devenu. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être bling-bling c’était un premier de la classe, celui qui ne déborde pas, qui ne dit rien. Un jour il est surpris en train de mentir à la fin du Grand Prix d’Australie 2009 (il a induit en erreur les commissaires en prétendant que Jarno Trulli l’avait volontairement doublé sous safety car, alors que c’était une consigne de McLaren). Il était comme un gamin pris la main dans le pot à confiture. Il a ensuite construit sa stature de légende.
Bruno Cammalleri : si vous ne deviez retenir qu’une des 103 victoires de Lewis Hamilton…
Frédéric Ferret : je pense tout de suite au Brésil de l’an dernier, mais pour moi ce serait surtout la Turquie 2020. Ce jour-là c’était impressionnant parce que tout le monde se noie un par un. On pense même qu’Hamilton est le premier à s’être noyé, mais en fait non. Il a été d’une sérénité implacable. Il a su attendre quand il le fallait, il a écouté sa voiture, il a écouté la piste et il a laissé les choses se faire avec son talent. Mais ce n’était pas une course d’attente. Il a parfaitement su maîtriser tous les éléments, à commencer par la piste qui était une patinoire, le crachin et la gestion des pneus. Il y a tout Lewis Hamilton dans ce Grand Prix de Turquie 2020 qui lui donne ce septième titre de champion du monde.
Bruno Cammalleri : vous écrivez dans ce livre que contrairement à Michael Schumacher, Lewis Hamilton a un côté plus malin que l’allemand dans les manœuvres délicates à la limite du règlement…
Frédéric Ferret : en effet, mais Max Verstappen a aussi cette aptitude, celle de savoir jusqu’où dépasser la limite sans se faire prendre. Charles Leclerc est en train d’apprendre ça. Sa victoire à Monza 2019 quand il donne un léger coup de roue à Lewis Hamilton dans le deuxième virage en est un exemple. C’est savoir jouer avec la limite. Lewis Hamilton a réalisé une manœuvre très habile face à Nico Rosberg dans le dernier tour du Grand Prix d’Autriche 2016, ce qui a permis au pilote anglais de remporter la course. Mais Nico Rosberg avait ce côté premier de la classe et lui n’a jamais appris comment faire un coup tordu sans se faire prendre. Au final du Grand Prix d’Autriche on voyait bien qu’il avait fait exprès de ne pas tourner pour emmener Hamilton au-delà des limites de la piste. C’était évident qu’il allait se faire pénaliser.
Bruno Cammalleri : comment pourrait-on définir la marque Lewis Hamilton ?
Frédéric Ferret : Lewis Hamilton est quelqu’un qui a énormément muri. Il a d’abord cherché à avoir cette reconnaissance mondiale pour lui. Aujourd’hui il s’en sert pour les autres. Lewis Hamilton était en quête d’une notoriété qu’il utilise aujourd’hui pour son prochain. Je peux citer l’exemple du Met Gala où il s’est battu pendant de longues années pour obtenir une invitation. Il est d’abord invité comme un invité lambda et puis l’an dernier, non seulement il est invité, mais il a eu le droit d’acheter une table où il a pu inviter six jeunes designers britanniques pour les présenter au monde entier. Pour lui cela ne sert pas à grand-chose mais c’est un cadeau du ciel pour ces designers britanniques. S’agissant de son évolution à travers le temps, j’ai tenu à remettre certaines interviews réalisées dans L’Equipe comme une photographie de ce que peut être un homme à un moment donné. Dans la première interview que je réalise de Lewis Hamilton en 2005 il parle déjà du racisme dont il souffrait.
Bruno Cammalleri : quel est votre regard sur les forces en présence dans cette saison 2022 de Formule 1 ?
Frédéric Ferret : cette saison risque de se finir par un match Verstappen/Leclerc, à moins que Verstappen domine outrageusement la saison. Mais je pense que Ferrari va revenir dans la partie et qu’on aura ce match jusqu’au bout. Je ne pense pas que Mercedes joue le championnat à la régulière toute la saison car jusqu’à présent Russell bénéficie surtout des abandons de Ferrari et Red Bull. En terme de performance on voit bien qu’il y a les Red Bull et les Ferrari qui sont devant et proches. Mercedes est derrière, puis tout le reste du plateau suit.